[Interview] L'entreprise 100 Détours, la pratique du Réemploi
Mis à jour le 5 sept. 2023 à 11:17:01Découvrez l'interview de Jérémie Koempgen, Architecte - Designer associé de l'entreprise 100 Détours. Aujourd'hui, il présente 100 Détours, créée en 2015 et nous explique la partie pratique du Réemploi, domaine d'expertise de l'entreprise.
- Présentez-vous et votre entreprise (concept, lieu...)
100 Détours est une entreprise spécialisée dans la conception et fabrication de mobiliers, dont la particularité est d'être intégralement fabriqués à partir de bois d'anciennes menuiseries extérieures. L'entreprise est située à la Chapelle Saint-Etienne, dans les Deux-Sèvres (Nouvelle Aquitaine). Elle a été créée en 2015. L'ambition est de montrer l'étendue des possibles offerts par ce matériau de réutilisation, qui est d'excellente qualité, et peut trouver des utilisations très diversifiées.
Nous réalisons donc du mobilier d'intérieur, du mobilier d'extérieur, mais aussi des dispositifs architecturaux, des objets, des semi-produits ou encore des micro-architectures. Nous nous sommes mis très tôt à chercher des exutoires au bois issu de menuiseries extérieures provenant de la déconstruction. Les éléments réalisés commencent donc à avoir une certaine antériorité. Nous profitons de ces retours sur expérience pour améliorer les modèles, et peu à peu mettre en série les dispositifs les plus pertinents. Il faut savoir que le bois qui a servi à la fabrication de ces portes et fenêtres, a soigneusement été sélectionné et reste d'excellent qualité et en bon état de conservation.
Nous y retrouvons plus d'une vingtaines d'essences différentes : (sur la façade atlantique, où beaucoup de bois d'importation a été utilisé, nous trouvons environ 70 % de bois tropicaux, 25% de feuillus locaux et 5 % de résineux), de la classe 2 à la classe 4. La particularité de l'entreprise est de savoir composer les projets et les objets en fonction de cette ressource bien particulière, et très abondante, grâce à un travail de dessin et d'innovation assez poussé, et de proposer des formes contemporaines, et des objets robustes, durables et conviviaux.
- Comment est né le concept de votre entreprise ?
L'entreprise est née du constat de la ressource disponible : Six millions de fenêtres bois déposées annuellement en France, dont la majorité reste pour l'instant incinérée ou enfouie. À l'époque, nous avons commencé à démanteler des fenêtres pour des premières applications, alors qu'une filière de récupération se mettait peu à peu en place. Nous étions convaincus qu'il était urgent de penser à une requalification, un exutoire, pour le bois, et pas seulement pour le verre et le métal.
Le concept est donc né de ce constat, et de notre rencontre entre menuisier, et architecte-designer, tous les deux fortement concernés par les questions environnementales. Nous avons confronté et articulé nos approches : proche de la matière d'un côté, et de la forme et les usages de l’autre. Nous avons ainsi échafaudé le concept de 100 Détours. Il s'agit donc du croisement entre la prise en compte des contraintes liées au matériaux de récupération, et une poétique et un dessin capable de « réenchanter » le matériaux significativement et durablement, pour lui permettre de repartir vers un nouveau cycle d'usage.
Nous croyons qu'il est indispensable d'adopter une démarche transversale, transdisciplinaire, et globale, pour répondre correctement à ces nouvelles questions de réemploi, incontournables aujourd'hui pour relever les enjeux environnementaux. Les rencontres humaines occupent donc une place essentielle dans l'entreprise.
Pierrick Soulard, nouvellement associé, vient d'apporter une nouvelle dynamique en pensant
l'organisation de l'atelier.
- Qu’est-ce qui vous a mené à pratiquer le réemploi de fenêtres bois ?
À la base, il s'agit d'une connaissance du matériau et du produit qui était présent dans la famille Verger. En effet, les locaux que nous occupons servaient depuis 2 générations pour l'industrie de menuiseries extérieures bois. Benjamin Verger, qui a également eu une activité dans la pose de menuiseries extérieures, connaissait donc parfaitement la valeur du matériau.
Le bois de Moabi, que l'on rencontre régulièrement dans notre gisement, est un bois extrêmement dense et parfaitement organisé. Il s'agit d'un grand arbre d’Afrique centrale, qui met 600 ans à arriver à maturité. Il est de classe d’emploi 4, il peut donc être utilisé pour nos mobiliers extérieurs, mais également se trouver en contact prolongé avec l'eau. C'est un bois d'une robustesse inouïe, qui n'a évidemment besoin d'aucun traitement chimique. Ces bois, souvent prélevés abusivement dans les forêts africaines, ont été ensuite sélectionnés, travaillés, il n'ont servi que quelques décennies sous forme de fenêtre. Il n'y a aucune raison de ne pas se resservir de ce bois une seconde fois : C'est même notre devoir !
Par contre, le format des bois récupérés pourrait être considéré comme une contrainte sérieuse : les sections sont faibles, les essences et les densités variées. Nous avons pourtant décidé d'en faire un atout pour notre conception. Nous avons donc peu à peu développé une poétique du matériau grâce au design : dispositifs ajourés, aérés, entretoisés, aspect métissé à l'image d'une société désirée... Nous « mixons » également les largeurs de bois, au sein des plateaux en lamellé-collé, ou bien des platelages de terrasses ou aménagements extérieurs, de manière à utiliser au mieux la ressource.
Pour le moment, nous utilisons 1/1000 du volume du bois de fenêtres françaises déposées. Le bois représente 15 % de la menuiserie extérieure aujourd’hui, il y a donc de quoi faire !
- Le bois est-il un matériau facilement démontable, réemployable ?
Nous ne travaillons qu’avec du bois massif, ce qui se fait rare et est très appréciable. La matière est retravaillée, mais toujours en essayant de conserver les sections maximales. La démarche est donc assez éloignée de celle du recyclage, qui consiste à désagréger la matière et à l'agglomérer de nouveau, et qui utilise beaucoup plus d'énergie de transformation. Effectivement, le bois est un matériau excellent pour être entretenu, réemployé, ou bien démonté-remonté, ou bien déconstruit et réutilisé après transformation. Dans le temps, le matériau gagne plutôt en dureté et en solidité, il est extrêmement structurel par rapport à son poids propre.
Dès que nous donnons un premier coup de scie, dans une ancienne menuiserie, c'est toujours un émerveillement de constater la qualité de conservation, la couleur, les odeurs variées du bois, le peu de matière à exclure du process de réutilisation (5% environ). Cependant, les fenêtres sont multi-matériaux, et sont complexes à décomposer pour réutiliser au mieux leurs constituants. Il y a beaucoup de travail manuel : en amont de notre activité, déjà (L'ESIAM, entreprise à but d'emploi, à Mauléon, s'occupe de la partie démantèlement sur l'agglomération Bressuiraise), puis dans notre atelier pour la transformation des pièces de menuiseries et la création des mobiliers.
Le fenêtres sont démantelées à l'ESIAM, le vitrage et séparé du bois et du métal. Cette activité subventionnée est support de retour à l'emploi, c'est une activité sociale et solidaire ; le bois nous est livré sur palette, les feuillures et la peinture sont présentes, ainsi que des restes de mastic et de métal. Nous avons appris à reconnaître les différentes essences de bois, et les trions globalement entre classe 1 & 2, d'un côté, et 3 & 4 de l'autre, mais la logique de classement correspond également à une logique de projet et de section. Les bois sont ensuite délignés, corroyés, lamellés-collés ou assemblés, poncés, assemblés, selon les plans que nous élaborons.
Nous cherchons à dessiner des objets permettant d'être facilement démontés en sous éléments pour pouvoir être transportés, et où chaque pièce puisse être changée pour l'entretien ou le remplacement. Il est bien sûr conçu de manière à être réutilisable facilement en fin de vie. Les mobiliers sont livrés à plat, et sont assemblés par inserts métalliques ou visseries à têtes six pans, ce qui permet de démonter, ajouter, modifier, facilement le mobilier.
- Quels types de projets / mobiliers avez-vous fabriqué en bois de réemploi ?
Les applications sont extrêmement diversifiées : nous travaillons sur des projets sur-mesure mais réalisons également les mobiliers du catalogue. Nous réalisons des mobiliers urbains, des éléments d'agencement, des mobiliers d'intérieur, mobilier de bureau, mais aussi sur des micro-architectures : abris à vélos, tipis de lecture, cabanes de jardins ou tables de pique-niques avec pergola d'ombrage. Nous venons de développer une lame de plancher porteur sur lambourdes ; nous réalisons depuis l'année dernière des poutraisons bois (abri vélo et plateformes paysagées).
Certaines de nos missions peuvent nous amener à agencer en totalité un espace. Nous avons récemment réalisé un espace de convivialité pour l’entreprise « EVEA », intégrant une cuisine, une table d'hôte, une méridienne, et un mange debout pour les réunions d'équipe (Projet récompensé par le Prix régional de la construction bois 2023 Pays de la Loire dans la catégorie "aménagement intérieur"). Cependant, nous développons de plus en plus des dispositifs s'intégrant au bâti : Baffles acoustiques, brises-soleils. Nous nous sommes donnés comme mission d'ouvrir des voies au réemploi et à la réutilisation, nous répondons donc aux nouvelles missions, nous poussant à innover. Certaines applications entrent ensuite progressivement au catalogue et sont optimisées. De nouveaux sujets concernant les banques d'accueil, les dispositifs de ventelles et de garde-corps, nous commençons à étudier le sujet des bardages, ou des cabines acoustiques pour les espaces de travail.
Les sujets les plus expérimentaux ont concerné la maîtrise d’œuvre associée sur l'aire de jeux d'enfant de la Haye-Fouassière dans le cadre du Voyage à Nantes, sur laquelle nous avons obtenu une certification de l'APAVE, et sur laquelle des platelages sont en bois de réutilisation, et un sujet de mission de direction artistique, pour la maison de la réserve naturelle des Antonins. La démonstration des possibles est maintenant faite, les prescripteurs et les maîtrises d'ouvrages publics nous font confiance et intègrent maintenant le réemploi aux projets. Nous avons le projet de former un réseau avec d'autres agglomérations : démantèlement et menuisier, en proposant un partenariat pour la mise à disposition de nos concepts et dessins, et pouvoir produire ainsi localement des objets utilisant le bois de rebut. Quoi qu’il en soit, nous assistons à une explosion de la demande récemment, il faut y répondre intelligemment.
- Pouvez-vous nous expliquer votre vision sur l’importance du réemploi ?
Nous pensons qu'il est urgent que le réemploi revienne dans nos mœurs, car son impact positif peut être très significatif pour la planète. Il y a urgence, les matériaux sont abondants, les applications sont infinies. De plus les réflexes de réemploi ont toujours existé et nous pouvons piocher des idées dans les savoirs-faire traditionnels ; enfin son usage est riche socialement (ESS, retour à l’emploi). Cependant, nous pensons que le réemploi ne doit pas rester à l’échelle d’expérimentation, d'artisanat, ou de mode.
C'est un premier pas nécessaire, afin qu'une culture du réemploi se mette en place (ce qui est le cas maintenant), mais il faut passer à des applications plus significatives et ambitieuses. Nous avons imaginé des formes d’objets répondant à des usages contemporains, et facilement appropriables. Dans un premier temps, il s'agissait de sortir de l’image de « sous produit » car représentant une seconde vie, pour aller vers une image d'un « sur-objet », car répondant à nos besoins de nouveauté, d'esthétique et de robustesse, sans tomber non-plus dans l'objet « manifeste ». Nous parlons de « surcyclage », qui est la traduction de « upcycling » en anglais, pour communiquer cette idée de redonner de l’énergie par l'invention, au matériau pour un nouveau cycle d'usage.
Il nous semble important de rester humbles et collaboratifs dans la tâche qui nous attend. Nous sommes encore dans une phase ou tout le monde parle beaucoup de réemploi, mais relativement peu de monde en fait ; il y a un peu de sur-communication sur le sujet ! Nous trouvons intéressant l'idée que le réemploi soit une occasion d'organiser l'activité différemment, en réseau, et de manière moins centralisée.
- Quelques mots sur votre rapport au matériau bois ?
Jérémie : Pour moi le bois nous ramène toujours, consciemment ou inconsciemment, aux arbres et à la forêt. Le confort, la chaleur, la convivialité qu'il nous communique, me semble liée à l'apaisement que nous fournit le contexte végétal. J'ai grandi entouré de boisement, je passais donc beaucoup de temps à faire des cabanes au milieu des feuillages. Je pense avoir gardé cette envie de tisser des liens sous forme d'objet, nous invitant à être plus attentifs à la nature. J'ai commencé cette recherche en exerçant comme architecte, je pense avoir trouvé maintenant l’échelle d'intervention et le matériau idéal avec la réutilisation de bois de fenêtre et 100 Détours. Le bois des arbres, c'est le puits carbone par excellence, il faut prolonger ce stockage carbone par la réutilisation !
Benjamin : le bois pour moi, c’est un peu comme la potion magique avec Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis issu d’une famille de menuisiers et j'ai toujours été entouré de bois, mon père et mon grand-père m’ont beaucoup sensibilisé à l’utilisation et à la beauté de ce matériau. Quand j’étais enfant, je faisais des arcs avec des perches de noisetier et les flèches étaient des parecloses de fenêtres... Je m’en suis un peu éloigné pendant mes études puis y suis revenu naturellement par la suite. Pour moi la réutilisation du bois d’anciennes menuiseries extérieures me paraît être une évidence et une nécessité. Je pense qu’il y a encore de la place pour plus de bois dans la construction notamment quand on parle de fenêtres car ce matériau me paraît le matériau idéal pour leur fabrication. Je suis toujours très déçu quand je vois des projets exemplaires de construction avec des matériaux biosourcés et que les fenêtres sont en aluminium.
Quelques infos techniques sur la société :
100 Détours
www.100detours.com
[email protected]
100 Détours
10, rue de Panama
La Chapelle Saint-Etienne
79240 Moncoutant-sur-Sèvre
SIRET : 812 613 974 00011
Tel: 05.49.74.05.63
partager
sur Facebook sur LinkedIn sur Pinterest par mail sur Twitter